Louise Coquillat, “Monique Wittig, portrait d’une féministe radicale”, dans Philosophie magazine, 3 mai 2024

Louise Coquillat revient sur le parcours de Monique Wittig pour Philosophie Magazine, à l’occasion de la parution poche de Virgile, non et de la publication de Dans l’arène ennemie.

Ce choc des mots affleure dans Virgile, non, roman de 1985 qui a été republié au début du mois d’avril. Le texte est écrit comme La Divine Comédie de Dante : le personnage principal, Wittig, parcourt les enfers et les limbes accompagnée d’un guide qui ne porte pas le nom de Virgile – comme chez Dante – mais celui, imaginaire, de « Manastabal ». En effet, Wittig multiplie les inventions langagières. Ce texte est bien la preuve que, pour elle, la lutte féministe est aussi une affaire de mots. Le Paradis au bout de l’Enfer est un paradis où « tombent les mots par mille » et deviennent « palpables » – « palapables », écrit-elle. Mais parfois, les mots lui manquent : l’enfer la laisse bouche bée. Car l’enfer n’est pas ici l’Enfer de Dante. C’est un enfer vécu au féminin : l’enfer des « âmes damnées » broyées par la domination masculine. Si le roman emprunte au genre fantastique, l’action du livre se déroule pourtant à San Francisco. L’Enfer, c’est donc l’enfer sur terre: dans les maisons, dans une laverie automatique, ou à la gare centrale où les « pauvres créatures se ruent hors du marche-pied » à l’arrivée du train. Car le repas du mari attend à la maison et, trop pressées d’accomplir leurs corvées domestiques, les « âmes damnées » se piétinent les unes les autres ou se poussent sous les roues du train. La gare centrale devient une scène de crime et tout le monde s’en accommode. L’Enfer, tel que Wittig le perçoit, c’est tout simplement un monde dominé par les hommes. Elle nous donne ainsi à voir le monde d’un point de vue radicalement lesbien et montre que l’on peut produire un récit nouveau à partir de textes anciens. En s’appropriant un chef-d’oeuvre de la littérature, elle reste fidèle à l’idée de mener un combat à la fois politique et littéraire.

Ce combat, elle en déploie les grandes lignes dans les textes inédits que l’on retrouve dans L’Arène ennemie, sorti également début avril. On y découvre des interventions de Monique Wittig jusqu’ici dispersées dans des journaux ou des revues parues en France ou à l’étranger. Sa pensée de la littérature est notamment déployée dans « L’ordre du poème ». L’occasion pour les lecteurs de situer les questionnements actuels sur le langage et sur l’écriture inclusive dans une histoire de la pensée et de la littérature faite de débats, d’oppositions et d’inventions.

À lire en accès libre sur le site de Philosophie Magazine.