“Éloge de la discontinuité : Jean-Luc Godard par Monique Wittig”, présenté, traduit et édité par Theo Mantion, Libération, 28 septembre 2022, p. 20-21

Theo Mantion traduit en français un texte que Monique Wittig écrivait en 1966 sur le réalisateur Jean-Luc Godard. Il le présente et le publie dans Libération, le mercredi 28 septembre 2022.

“Mon modèle, c’est Godard”, confie Monique Wittig au sujet de son roman l’Opoponax (1964, prix Médicis). Tandis que Wittig jouit depuis quelques année d’une monumentale redécouverte, nous exhumons son premier texte critique, “Lacunary Films (on Jean-Luc Godard )”, publié par le journal britannique The New Statesman en 1966. Dans ce texte inédit en français, Wittig entrevoit dans les films de Godard une poétique de la lacune qu’elle fera sienne et raffinera tout au long de son œuvre. Wittig rêve de cinéma, et celui de Godard lui offre les outils qui lui permettront d’ouvrir le langage à de nouvelles possibilités esthétiques et politiques. 

“Éloge de la discontinuité”, “poétique de la lacune”, Theo Mantion nous offre à lire ce texte inédit qu’il perçoit comme la mise au jour du “devenir commun de la littérature et du cinéma [qui] traverse l’œuvre wittigienne “.

[Les films de Jean-Luc Godard] sont lacunaires dans la mesure où leur structure est soumise à un procédé opérant à tous les niveaux et faisant système : la discontinuité.

La discontinuité, telle qu’elle affecte la structure entière du film, entraîne des conséquences internes d’ordre et d’importance variables. Le film se présente comme une explosion continue. [ … ] [Godard] transforme la discontinuité absolue en une façon de travailler et cette façon de travailler dérange ce que j’appellerai, faute de mieux, ces systèmes articulés et rhétoriques auxquels nous sommes davantage habitués.

C’est plutôt comme une vague et son creux : tantôt les évènements enfourchent la crête de la vague et les personnages représentent le creux, tantôt les positions s’inversent – toutefois, un principe les lie toujours étroitement. Elles se valident mutuellement, les deux tendant vers une cause finale qui tient le film en suspens et le valide rétrospectivement.

Dans ce genre de film, rien ne justifie rien, le film lui-même n’est pas sa propre justification : il s’invente, c’est le cinéma absolu. De quelques éléments il produit une multiplicité – un délire – d’images.

 

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